Barbara,« Perlimpinpin »,1973

Pour qui, combien, quand et pourquoi ?

Contre qui, comment, contre quoi ?

C’en est assez de vos violences

D’où venez-vous, où allez-vous ?

Qui êtes-vous, qui priez-vous ?

Je vous prie de faire silence

Pour qui, comment, quand et pourquoi ?

S’il faut absolument qu’on soit

Contre quelqu’un ou quelque chose

Je suis pour le soleil couchant

En haut des collines désertes

Je suis pour les forêts profondes

Car un enfant qui pleure,

Qu’il soit de n’importe où,

Est un enfant qui pleure

Car un enfant qui meurt

Au bout de vos fusils

Est un enfant qui meurt

Que c’est abominable d’avoir à choisir

Entre deux innocences

Que c’est abominable d’avoir pour ennemis

Les rires de l’enfance

Pour qui, comment, quand et combien ?

Contre qui, comment, et combien ?

À en perdre le goût de vivre,

Le goût de l’eau, le goût du pain

Et celui du perlimpinpin

Dans le square des Batignolles

Mais pour rien, mais pour presque rien,

Pour être avec vous et c’est bien

Et pour une rose entrouverte

Et pour une respiration

Et pour un souffle d’abandon

Et pour un jardin qui frissonne

Image

Ne rien avoir, mais passionnément,

Ne rien se dire éperdument,

Ne rien savoir avec ivresse

Riche de la dépossession

N’avoir que sa vérité,

Posséder toutes les richesses

Ne pas parler de poésie,

Ne pas parler de poésie,

En écrasant les fleurs sauvages

Mais voir jouer la transparence

Au fond d’une cour aux murs gris

Où l’aube n’a jamais sa chance

Contre qui ou bien, contre quoi ?

Pour qui, comment, quand et pourquoi ?

Pour retrouver le goût de vivre

Le goût de l’eau, le goût du pain

Et celui du perlimpinpin

Dans le square des Batignolles

Et contre rien, contre personne,

Contre personne et contre rien

Et pour une rose entrouverte

Pour l’accordéon qui soupire,

Et pour un souffle d’abandon

Et pour un jardin qui frissonne

Et vivre, vivre passionnément

Et ne combattre seulement

Qu’avec les feux de la tendresse

Et riche de dépossession

N’avoir que sa vérité,

Posséder toutes les richesses

Ne plus parler de poésie,

Ne plus parler de poésie

Mais laisser vivre les fleurs sauvages

Et faire jouer la transparence

Au fond d’une cour aux murs gris

Où l’aube aurait enfin sa chance

[texte établi depuis Barbara - L’intégrale,

éditions L’Archipel, 2012, 171-173]